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Rencontre avec une anthropologue de l’INRAP

lundi 22 février 2016, par Classe CSTi Patrimoine - Autun, Isabelle Thibaudet, Jean-Luc Pernette

Le jeudi 10 février 2016, la classe de seconde Sciences et Patrimoine a pu assister à une intervention de Carole Fossurier, anthropologue à l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives), qui était venue nous faire découvrir sa discipline, l’archéo-anthropologie.

Elle a entamé sa présentation par quelques mots sur l’archéologie préventive (notion avec laquelle notre classe s’était familiarisée lors de l’intervention de Yannick Labaune), grâce à laquelle 80% des sites ont été découverts, puis étudiés au moyen de fouilles et d’un grand nombre d’expertises ; elle nous a ensuite parlé de sa spécialité, le domaine funéraire. Dans ce contexte, elle a alors pu nous détailler les différentes facettes de l’archéo-anthropologie, à laquelle on a recours lors de l’étude de sites funéraires.

S’il s’agit d’une sépulture, son étude constitue la première phase du travail ; c’est ainsi qu’on cherche ses modes de construction, dans la terre (fosse) et en surface (dans le cas où un monument s’élève au-dessus), après quoi les archéologues se livrent à une analyse taphonomique, c’est-à-dire qu’ils étudient la position des ossements trouvés.
Ces derniers sont ensuite envoyés en laboratoire afin de subir une analyse biologique, qui permettra de déterminer différentes caractéristiques de l’individu inhumé, comme son sexe, son état de santé, son âge ou encore son activité, grâce aux éventuelles séquelles qu’il en aurait gardées (dans le cas de l’équitation, par exemple).
Le site est ensuite lui-même analysé, grâce à une confrontation des différents éléments relevés, comme la tombe, le type de population enterrée, les caractéristiques géologiques et géographiques…Toutes ces informations permettent une compréhension globale du site.
Mme Fossurier a ensuite donné un exemple de site funéraire important à l’époque antique, à savoir la nécropole autunoise de Pont-l’Evêque. Elle a été fréquentée du Ier siècle avant Jésus-Christ au IVème siècle et présente une grande variété de structures. La nécropole comporte ainsi une large zone d’incinération. Elle était composée de grandes fosses sur lesquelles des bûchers étaient édifiés et dans lesquelles ils s’écroulaient à la fin de la combustion. On y a découvert des résidus de crémation, et des ossements placés dans des urnes, parfois elles-mêmes contenues dans des coffres.
Mais les archéologues ont majoritairement retrouvé des restes d’inhumations, rituel qui a rapidement supplanté celui de la crémation. Certains défunts avaient été placés dans des cercueils ; les archéologues ont alors retrouvé des clous, et l’étude de leur position a révélé que les planches avaient été utilisées en tant que réemploi. On a également découvert que plusieurs corps, à défaut de cercueil, avaient été abrités sous des matériaux (tuiles…) disposés en bâtière (c’est-à-dire appuyés l’un contre l’autre de façon à ménager une double pente) ; pour les très jeunes enfants, une demi amphore faisait parfois l’affaire. Toutes ces réutilisations donnent l’image d’une population modeste ; pourtant, certaines tombes d’enfants comportaient un mobilier important : ici, on pourrait supposer que la famille portait une affection vive au jeune défunt.
Notre intervenante a alors décidé de nous présenter les pratiques funéraires du haut Moyen-Âge, du Vème au Xème siècle après Jésus-Christ, avec l’exemple du site alsacien d’Ichtratzheim, sur lequel on peut constater un mélange des influences chrétienne et germanique, puisque la sépulture centrale, autour de laquelle se groupent toutes les autres tombes, se présente sous la forme d’un tumulus, héritée des traditions germaniques.
Une analyse taphonomique a révélé plusieurs traces de contraintes sur les ossements, au niveau des orteils en raison des dimensions du sarcophage, ainsi qu’à celui des côtes, ce qui indique la présence de vêtements.

Cuillère en argent
L’inscription runique « Abuda » sur le dos de la cuillère en argent

Autour des restes, les archéologues ont retrouvé un mobilier très riche, parmi lequel on compte un bassin en bronze, une bague en or, un bracelet d’argent, une boule de cristal, des ossements de castor et de grenouilles, et enfin une cuiller en argent marquée d’une croix chrétienne et de deux inscriptions runiques : « lapela », c’est-à-dire « cuillère », et « Abuda », probablement le prénom de la personne inhumée.
Les chercheurs ont pu constater que cette tombe mérovingienne avait été la seule, de toute la nécropole, à ne pas avoir été pillée. En confrontant ce constat avec les indices relevés sur le mobilier (sa richesse, la présence de croix et d’inscriptions sur la cuiller), ils ont pu déduire qu’« Abuda » avait été une érudite, localement célèbre et possédant un certain rayonnement religieux, et que ces différents facteurs avaient réussi à dissuader les pillards d’aller ouvrir sa tombe.
L’anthropologue nous a ensuite présenté les rites funéraires pendant le reste du Moyen-Âge et à l’époque moderne, sur une période s’étalant du Xème au XVIIIème siècle.

A partir du Xème siècle, les villages sont organisés selon une polarité sacrale, c’est-à-dire regroupés autour d’une église. Cela coïncide avec l’entrée des morts dans la ville, parmi les vivants : on parle alors d’organisation paroissiale, et il devient important pour la population de se faire enterrer à proximité de l’église, afin d’être au plus près de Dieu.

Répartition des sépultures
L’une des diapositives de la présentation de Mme Fossurier, indiquant la répartition des sépultures en fonction du milieu social.

Afin d’illustrer cet exemple, Mme Fossurier nous a présenté la basilique royale de Saint-Denis avec son environnement. L’analyse biologique des sépultures a permis de déterminer quel groupe social était inhumé à quel endroit, chaque os donnant des informations sur le niveau de vie de l’individu auquel il appartenait. Les archéologues ont ainsi pu classer les squelettes en différentes catégories selon les séquelles qu’ils présentaient, en remplissant des fiches de conservation. Ainsi, l’hypoplasie de l’émail dentaire, les cribra orbitalia ou encore les traces de tuberculose sont des signes d’appartenance à une couche sociale défavorisée, tandis qu’un individu atteint de la maladie hyperostosique aura probablement été un moine, et des os présentant des fractures et des insertions musculaires importantes auront sans doute appartenu à un cavalier, c’est-à-dire, pour l’époque, un membre de la noblesse. Les archéologues ont ainsi pu constater que selon la place qu’ils avaient tenue de leur vivant dans la société, les individus étaient répartis dans des secteurs différents autour de la basilique.
La dernière époque que nous avons abordée avec Mme Fossurier est celle qui s’étend du XVème au XIXème siècle. L’augmentation de la population durant ce laps de temps a conduit à une occupation de plus en plus dense des cimetières qui se remplissent, et dont il faut gérer l’espace. La question de l’hygiène se pose alors, d’autant que les lieux de sépulture se trouvaient à l’intérieur des murs des villes depuis le Xème siècle environ. Notre intervenante a alors choisi d’illustrer son propos par l’exemple du cimetière du vieil hospice dijonnais au Pont-des-Tanneries, qui livre des informations sur cette période.
Il se trouve que dès la création du site, il fallut gérer de nombreux décès, ce qu’indique un grand nombre de fosses communes, dans lesquelles les cadavres étaient néanmoins placés en cercueils, placés sur chant afin de gagner de l’espace. Le nombre de morts ayant encore augmenté en raison des conquêtes napoléoniennes et de la fièvre typhoïde, il fut décidé, pour des raisons sanitaires, que les cadavres devraient être recouverts de chaux vive ; cette décision n’était pas toujours observée puisque les archéologues en ont retrouvé des blocs solidifiés au-dessus de squelettes quasi-intacts.
Ensuite, au cours du XIXème siècle, une école de médecine s’est développée, qui a pratiqué l’autopsie sur des cadavres ensuite enterrés dans le cimetière de l’hôpital. Les archéologues ont ainsi retrouvé des crânes et des côtes découpés pour les besoins de la dissection, portant les traces de divers instruments (scie, hachoir…).
Les inondations produites par le canal des environs, jointes à l’abondance des dépouilles entassées au même endroit, entraînèrent de nombreuses plaintes des habitants des environs, évoquant les « exhalaisons pestilentielles » du cimetière. C’est ainsi qu’en 1841, il a été déplacé à l’endroit qu’il occupe actuellement.
Nous avons pu remarquer ensemble la place tenue par les morts au fil du temps : dans l’Antiquité, ils étaient tenus, pour des raisons religieuses, à l’écart de la société des vivants, ils y ont été intégrés à partir du Moyen-Âge et sont ressortis des villes à l’Epoque Moderne, pour des questions d’hygiène cette fois.

Enfin, Mme Fossurier a conclu en récapitulant les différents aspects de l’archéologie et de l’archéo-anthropologie, qui constituent les clés de compréhension d’un site archéologique ; elle a également cité différentes disciplines, complémentaires de son métier, comme la céramologie, la xylologie, l’archéozoologie, la carpologie (étude des fruits et des graines) ou encore la biologie moléculaire (utile pour déterminer les traces de certaines maladies comme la peste)… Notre classe a bien pu se rendre compte que l’archéo-anthropologie évoluait avec le temps afin de mieux cerner le passé de l’Homme.
La fin de la présentation a été suivie de plusieurs questions, émanant aussi bien des élèves que de M. Martin, qui avait assisté à cette intervention en sa qualité de professeur d’histoire. Mme Fossurier nous a ainsi présenté son parcours d’étude, qui avait d’ailleurs commencé par le Lycée Bonaparte où elle avait effectué une filière S, avant de se terminer par une thèse d’archéo-anthropologie à Poitiers.
L’archéo-anthropologue funéraire a ensuite pris congé de nous, au terme de cette intervention captivante !

Article rédigé par Marguerite Bertrand

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